Mars

Le mercredi 1er mars, 20 h 30

Nous sommes retournés au Centre de cancérologie aujourd'hui. Cette fois, on devait me fabriquer un masque qui servira à garder ma tête immobile pendant qu'on me bombardera de radiations. On m'a d'abord couvert la figure avec un genre de grillage en tissus puis on a badigeonné le tout avec de la cire. Ensuite, j'ai dû rester allongé sans bouger avec le moule sur la tête pendant que la cire durcissait. Ce n'est pas douloureux mais l'expérience peut être dérangeante pour quelqu'un de claustrophobe. En ayant la figure complètement recouverte, il aurait été impossible de respirer dans des conditions normales. Même si je respire par le cou, j'avais l'étrange impression que j'allais étouffer. C'est psychologique, un peu comme les gens qu'on ampute et qui sentent encore le membre absent. J'ai respiré pendant si longtemps par la bouche et le nez que j'ai encore ce réflexe. Demain, ils me passeront un C.T. Scan pour prendre les mesures. On doit viser juste.

Le jeudi 2 mars, 19 h

On a pris les mesures cet après-midi. Couché sur le dos, on m'a posé le masque qu'on a fabriqué hier sur ma figure. Le masque est attaché à la table, rendant ainsi impossible tout mouvement de ma tête. Ensuite, on fait glisser la table sous le scanner et les techniciennes marquent le masque en suivant les traits lasers que projette l'appareil. J'ai demandé à la technicienne ce qu'ils faisaient avec les gens claustrophobes. C'est problématique, qu'elle me dit.  Pour certaines personnes, on leur demande de ne pas bouger mais il y a toujours un risque que les radiations brûlent inutilement des régions saines. Dans les cas extrêmes, on donne des calmants. Au bout d'une demie heure, je suis sorti de la salle, le visage marqué par le grillage du masque. Isabelle trouvait que j'avais l'air d'un reptile. Il ne me reste qu'un rendez-vous chez le dentiste la semaine prochaine avant de commencer mes traitements, moins de deux semaines à profiter du moment qui passe avant d'en subir les désagréments.

Le vendredi 3 mars, 22 h

Il est tard. C'est la première fois que je sors le soir depuis mon opération, presque une aventure. On est allés magasiner à Gatineau. Avant, j'étais trop fatigué en fin de journée pour me permettre ce genre de sortie. Maintenant, je me porte bien. Il y a encore les blessures laissées par la chirurgie mais elles guérissent quand même vite. Les médecins me l'avaient dit: dès que je retrouverais ma forme, on commencerait les traitements. J'y suis. Dans deux semaines, je vais redescendre lentement et je ne remonterai qu'à la fin mai. J'appréhende beaucoup ce qui s'en vient mais je me dis qu'au mois d'août toute cette sale histoire sera derrière moi, du moins une bonne partie.

Le samedi 4 mars, 18 h

Ça faisait un petit bout de temps qu'on ne s'était pas payés un café chez Tim Horton's. Plus tard en après-midi, on est allés faire quelques emplettes à la quincaillerie. De retour à la maison, je me suis permis de faire une petite réparation: changer une ampoule! C'est drôle à dire comme ça, mais me retrouver pendu au dessus de la descente d'escalier, c'est tout un exploit pour quelqu'un dans ma condition. Et ce genre d'exercice me fait rêver. J'aimerais tant que le temps s'arrête ici, me dire que tout est réglé et pouvoir reprendre maintenant là où j'ai laissé il y a trois mois. Le chemin de la guérison est malheureusement plus long et plus tortueux.

Le dimanche 5 mars, 18 h 30

Le temps passe. Du temps pour m'écouter respirer, pour être à l'affût du moindre symptôme qui pourrait me rappeler ma maladie. Comment l'oublier, surtout moi qui suis un grand inquiet. Malgré tout, je profite du moment qui passe. Ce soir, nous avons mangé une fondue en famille. On a parlé de tout et de rien sauf du malheur qui nous frappe. Les filles ont ri de nos histoires de jeunesse. Ou plutôt, elles ont ri de nous. Elles aiment bien se payer notre tête quand elles en ont l'occasion. Rien de méchant. Je pense bien qu'en appréciant les bons moments, en me disant que ça va bien quand ça va bien, je m'assure la guérison. Et puis si je me trompe, ce sera toujours le temps d'en faire le constat.

Le lundi 6 mars, 19 h

Je suis allé à mon ancienne école ce matin. Ça m'a fait plaisir de rencontrer ma collègue Judith et mon ancienne équipe. Un autre exploit pour moi, c'est la première fois depuis novembre dernier que je conduis ma voiture seul. Quand je pense qu'au meilleur de ma forme, je dois commencer des traitements qui vont me jeter à terre, je trouve ça fâchant. Il faut dire que mon bien-être actuel est illusoire et qu'en m'affaiblissant, on s'arrange aussi pour me guérir, me débarrasser de toutes traces éventuelles de la maladie. Je comprends.

Le mardi 7 mars, 18 h 30

J'ai dû me lever à la première heure ce matin pour aller me faire prendre du sang. On doit s'assurer que mon métabolisme est prêt à recevoir la chimiothérapie. Heureusement, le laboratoire n'est qu'à cinq minutes de marche de la maison... mais j'ai pris l'auto. Ensuite, après un déjeuner chez McDonald's, on s'est rendus à la clinique du dentiste. On devait prendre une empreinte de mes dents, du moins ce qu'il en reste, pour fabriquer un plateau à fluor. Parce que les radiations vont brûler ma glande salivaire, mes dents ne seront plus protégées comme avant. Elles seront plus vulnérables aux caries et c'est pourquoi je devrai les traiter régulièrement au fluor. Il faudra également que j'aille souvent chez le dentiste pour les faire nettoyer.

Le mercredi 8 mars, 19 h 30

Mis à part le café chez Tim Horton's, je n'ai rien fait de spécial aujourd'hui. Le fait d'attendre mes traitements me ramène au début janvier, juste avant mon opération. Les raisons ne sont pas les mêmes, mais l'angoisse s'installe encore petit à petit. Sauf que cette fois, je me dis que c'est la dernière démarche qui me reste à entreprendre pour me sortir de ce mauvais pas. Après, ce sera un acte de foi. Il faut avoir confiance.

Le jeudi 9 mars, 22 h

Cette nuit, j'ai encore eu de la difficulté à respirer. Cette fois, les succions n'aidaient en rien alors on s'est rendus à l'hôpital. Je me souvenais qu'après l'opération, on me donnait un mélange de Ventolin et d'Atrovent pour faciliter la liquéfaction des sécrétions. J'en ai fait mention au médecin et elle m'en a donné. Peu après, je me suis mis à tousser et ma respiration est revenue à la normale. J'ai obtenu une prescription de ces médicaments et je pourrai les prendre à la maison. Avant, j'utilisais les petites pompes mais maintenant il me faut un compresseur spécial pour que je puisse me les administrer (Bayshore Home Care m'en fournit un).

Lorsque je suis arrivé à l'urgence, l'infirmière a pris mes signes vitaux comme cela se fait d'habitude. Après avoir noté que je venais de subir une laryngectomie elle m'a demandé si j'avais eu "autre chose avec ça". Oui, un chausson. Elle faisait son travail très consciencieusement mais ça m'a fait rire quand même. Je n'ai pas dit ce qui m'était venu à l'esprit, me contentant de répondre que c'était déjà beaucoup. Elle a acquiescé en souriant.

Le vendredi 10 mars, 18 h

Des amis de Trenton sont venus me rendre visite cet après-midi. J'étais bien content de les revoir et j'ai été bien touché par le présent qu'on m'a apporté. Merci Gabrielle! En parlant de mes traitements qui s'en viennent, on m'a fait remarquer qu'à ce temps-ci de l'année ce serait moins pire qu'en plein milieu de l'hiver. C'est bien vrai. Le printemps, c'est le retour à la vie. Tout concorde.

Le samedi 11 mars, 20 h

Quelques jours après mon opération, le réservoir à eau chaude à la maison s'est vidé. Il a donc fallu changer le tapis et c'est hier que ça se passait. Quand les ouvriers sont partis, on s'est empressés de remettre le sous-sol en ordre. Ça nous a pris la soirée et une partie de l'avant-midi aujourd'hui. À déplacer des boîtes et des meubles, j'en suis tout courbaturé. Les mauvaises langues diront que c'était comme ça même avant l'opération, que je me plaignais toujours outre mesure d'avoir effectué ce genre de travail mais je sais que cette corvée m'a affecté plus que d'habitude. Moi qui me croyais en pleine forme, je réalise qu'il me reste encore un bout de chemin à faire. Je vais me tenir tranquille jusqu'à la fin des traitements.

Le dimanche 12 mars, 22 h 30

Changera, changera pas. Ça fera déjà deux mois demain qu'on m'aura enlevé ma tumeur.  Peu de temps après l'opération, l'orthophoniste m'avait demandé si je trouvais les changements traumatisants. Encore sous l'émotion post-opératoire, si je peux dire, j'avais répondu que c'était désastreux. Quand j'y repense aujourd'hui, je trouve que c'est terrible mais peut-être pas tant que ça. En me regardant dans le miroir, je vois un trou dans ma gorge et une énorme cicatrice sur le poignet. Personne ne veut ça, bien sûr, mais pour ce qui est de mon bras, il n'y restera qu'une rougeur. Quant à l'orifice dans mon cou, il me permet de respirer comme je ne l'avais pas fait depuis longtemps. En un sens, j'y gagne au change. Je disais justement à Isabelle ce matin que le docteur O'Dell m'avait sauvé la vie deux fois, d'abord en empêchant la tumeur de me faire mourir étouffé puis en l'enlevant quelques semaines après. Le pire, je l'ai toujours dit, c'est d'avoir perdu ma voix. Il faudra que je m'y fasse. Par contre, je pourrai parler à nouveau. Ce ne sera pas ce que c'était mais je pourrai m'exprimer comme avant. Je n'ai pas tellement changé finalement. J'ai hâte de revoir l'orthophoniste.

Le lundi 13 mars, 16 h

J'ai toujours trouvé que les mois de janvier et février étaient les plus longs de l'hiver. C'est encore plus vrai cette année, on devine pourquoi. Maintenant que ces deux mois sont derrière moi, ce sont avril et mai qui me paraîtront interminables, ce temps de l'année que j'avais l'habitude d'apprécier. Tout dépend de l'angle sous lequel on observe les choses. 

Le mardi 14 mars, 23 h 30

Nous sommes allés au Centre de cancérologie en famille cet après-midi pour assister à une séance d'informations sur la chimiothérapie et la radiothérapie. D'abord, les filles ont pu voir où j'irai tous les jours pour me faire traiter et puis on s'est fait expliquer tous en même temps ce qu'on me fera dans les prochaines semaines. En fait, il y avait deux séances, une pour chaque thérapie. Je m'attendais à réentendre tout ce qu'on s'est fait dire depuis le début mais, même s'il y avait effectivement des choses qu'on savait déjà, on nous a aussi rassurés sur les effets secondaires. Ils sont là, il ne faut rien prendre à la légère mais la plupart d'entre eux sont facilement contrôlables. Le risque d'infection est certainement celui qu'il faudra surveiller de près. Au-delà de 38°C de fièvre je dois me rendre à l'urgence immédiatement. Pas question de prendre du Tylenol en se disant que ça va passer. En ayant le système immunitaire affaibli, prendre des médicaments ne ferait que masquer les symptômes et l'infection, s'il y en avait une, se développerait à mon insu. Pour le reste, en suivant les indications de l'équipe médicale, tout devrait bien aller.

Le mercredi 15 mars, 19 h

Quelle déception! Il y a trois jours, j'ai commencé à tousser des sécrétions verdâtres. Comme elles étaient beaucoup plus vertes hier et aujourd'hui, nous l'avons mentionné à l'infirmière avant qu'elle ne m'administre mon premier traitement de chimiothérapie. Elle est allée chercher un médecin qui, après m'avoir ausculté, en a déduit que j'avais attrapé une grippe et qu'une infection se développait. Rien de grave mais assez pour reporter le traitement d'une semaine. Ce serait mettre ma vie en danger que de me faire injecter du cisplatine en ayant déjà le système immunitaire affaibli. Il m'a donné une prescription d'antibiotiques et nous nous sommes dirigés vers le département de radiothérapie. Là, on nous a dit que c'était annulé. On nous avait effectivement téléphoné pour nous aviser que le docteur Eapen, le médecin spécialiste en radiations qui s'occupe de mon cas, ne pourrait pas me rencontrer aujourd'hui. Nous n'avons pas pensé que ça voulait dire qu'on ne pouvait pas me donner mon traitement. C'est un fâcheux malentendu. Finalement, je commencerai la radiothérapie lundi et on me rappellera pour la chimio.

Le jeudi 16 mars, 19 h 30

Mon premier traitement de chimiothérapie est officiellement reporté à mercredi prochain. Je suis fortement impressionné par l'organisation au Centre de cancérologie, c'est une machine bien huilée. Ils traitent 300 patients quotidiennement à l'Hôpital Général et autant à l'Hôpital Civic (c'est beaucoup de victimes du cancer quand on compte tous les hôpitaux du pays). Côté logistique, ils arrivent à coordonner les rendez-vous entre les différents intervenants pour tous ces gens. L'endroit est aménagé pour rendre les visites des patients le plus agréable possible, rien à voir avec le décor traditionnel d'un hôpital. Malgré tout, j'étais assis là hier et je ne pouvais pas croire que j'en étais bénéficiaire. Ou plutôt, je ne voulais pas. Mais...
                   Le vendredi 17 mars, 12 h 30   

Depuis trois mois, je me suis fait trancher la gorge, écorcher un bras et percer l'abdomen. On m'a même épilé avec du ruban gommé à maintes reprises. Attendre ces supplices (j'exagère un peu) n'avait rien d'angoissant comme l'attente des résultats du test que j'ai passé ce matin. À partir de maintenant, on va me faire passer des C.T. Scan régulièrement pour vérifier si le cancer revient. Ces simples examens de routine totalement indolores pourraient pourtant révéler le pire. Je préfère croire qu'ils ne m'annonceront que de bonnes nouvelles. Il le faut.

Le samedi 18 mars, 21 h

 Les antibiotiques commencent à faire effet car mes sécrétions commencent à s'éclaircir. Par contre, à force de tousser, des petits vaisseaux sanguins ont éclaté le long de la paroi du larynx. Joanne dit que c'est normal mais il faudrait que j'arrête de saigner avant la chimiothérapie. Je dois dire que ça s'améliore.

On dit souvent que le temps file. Pas toujours!

Le dimanche 19 mars, 18 h

Je tousse encore un petit peu de sang mais c'est beaucoup moins pire que ces derniers jours. Je pense bien que je devrais pouvoir commencer la radiothérapie demain. De toutes façons, je vais essayer de voir un oto-rhino-laryngologiste. J'aimerais bien en avoir le coeur net à propos de ces vaisseaux sanguins qui éclatent quand je tousse. J'imagine que c'est normal, que les tissus nouvellement greffés sont encore frais pour supporter de fortes toux mais je serais rassuré de l'entendre dire par un médecin.

Le lundi 20 mars, 19 h 30

Je ne sais pas si ce sont mes traitements qui attendaient le printemps ou si c'est le printemps qui m'attendait puisqu'on vient de reporter ma radiothérapie à demain. Ça pourrait commencer à m'inquiéter mais j'aime mieux le voir comme un signe positif. Le technicien nous a téléphoné pour nous dire qu'après avoir étudié les résultats de mon C.T. Scan, ils avaient dû revoir leurs calculs. D'un côté, je me demande bien ce qu'ils ont pu voir mais de l'autre, indépendamment de ce qu'ils ont trouvé, ils prennent la peine de revoir leur plan. Rien n'est laissé au hasard. J'aurai quand même quelques questions à poser.

Plus tôt ce matin, Isabelle a téléphoné à Sylvie, l'infirmière qui va me suivre au Centre de cancérologie, pour lui demander ce qu'elle pensait de mes sécrétions qui ne semblent pas vouloir s'éclaircir et du sang qu'on y trouve. Elle nous a rappelé cet après-midi pour nous dire qu'elle en parlerait au docteur Laurie. Elle ne semblait pas inquiète pour les saignements.

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