Mai

Le lundi 1er mai, 15 h

Je viens de terminer ma première série de traitements de radiothérapie. Demain, je vais changer de machine. Je ne sais pas encore pour quelle raison. Je vais le demander au docteur ce mercredi. Si j'ai bien compris, j'aurais fini vendredi.

Le mardi 2 mai, 15 h

Il me reste cinq traitements de radiothérapie en comptant celui d'aujourd'hui. La nouvelle machine ressemble à celle qu'on utilise pour prendre des rayons-x. On ne visera que la région autour du cou. La bouche ne sera plus visée. Heureusement car ma langue est couverte d'ulcères. Je ne peux plus rien avaler.

Le mercredi 3 mai, 16 h

Je suis allé au Centre pour ma chimiothérapie ce matin et j'ai fait face à un grand dilemme. Le traitement risque de me rendre sourd. Le médecin m'a expliqué que le troisième traitement n'augmenterait pas nécessairement mes chances de guérison, que c'était plus une précaution. Si le cancer devait revenir, rien ne dit qu'une troisième chimio l'aurait empêché. J'ai donc choisi de ne pas suivre ce dernier traitement. Mon ouïe a déjà diminué et je ne veux pas courir le risque de la perdre totalement. Ce fut un choix difficile à faire mais malgré tout, je suis en paix avec ma décision. Le docteur était d'accord avec moi. Il ne me reste donc que trois traitements de radiothérapie.

Le jeudi 4 mai, 16 h 30

En mars dernier, je voyais venir les traitements avec angoisse. Je me disais que ça prendrait du temps et que je souffrirais des effets secondaires. Isabelle m'encourageait en me disant que je devrais gravir les marches une à une. Elle avait bien raison. Il ne me reste que deux traitements déjà. Quant aux effets secondaires, à part les nausées qui sont derrière moi, il n'y a que la langue qui me fasse vraiment mal, vraiment (je prends de la morphine aux quatre heures). Ça empêcherait La Bolduc de turluter pour de bon. Les brûlures autour du cou ne me dérangent pas. On va célébrer le jour où on pourra aller déjeuner chez McDonald's.

Le vendredi 5 mai, 15 h

J'ai parlé un peu vite pour les nausées. Hier soir, je me suis mis à vomir comme un bon. J'espère que ce n'était qu'un épisode. Joanne m'a recommandé de prendre du Stemetil et ça va mieux depuis. Il ne me reste qu'un seul traitement de radiothérapie.

Le samedi 6 mai, 12 h

Je suis content de me voir à la fin de mes traitements. Il y a maintenant l'attente. Attendre que mes plaies guérissent, de pouvoir retourner chez Tim Horton's et McDonald's, mon retour à une vie normale. Ce n'est pas drôle non plus l'attente. Par contre, je me dis que je progresse. J'en ai plus de fait qu'il ne m'en reste à faire dans mon processus de guérison.

Le dimanche 7 mai, 10 h 30

Je me suis levé en grande forme aujourd'hui. Il faut dire que j'ai traîné au lit ce matin. J'avale un peu mieux et il me semble que ma langue me fait moins mal. C'est peut-être la morphine. Je ne me fais pas d'illusions, les améliorations vont venir au compte-goutte.

Le lundi 8 mai, 13 h 30

C'est terminé. La médecine a fait sa part du travail. C'est à moi de me concentrer sur ma guérison. Il y a d'abord les plaies causées par les radiations. Ensuite, j'irai voir l'orthophoniste. J'ai drôlement hâte de réapprendre à parler. Il faudra que je continue à soigner mon moral aussi.

Le mardi 9 mai, 14 h

La maladie, ça vous désorganise une vie. Il va falloir que je travaille fort pour remettre les pièces en place. À partir de maintenant, je n'ai plus de raisons, mise à part ma convalescence, de jeter le blâme sur ma condition. Je me répète peut-être, mais la première étape après la guérison des plaies sera de réapprendre à parler. Ça peut paraître banal, mais le simple fait de ne pouvoir répondre au téléphone me limite beaucoup (l'électro-larynx ne fait pas de miracles). Je fonde beaucoup d'espoir sur l'expertise de l'orthophoniste. Heureusement, elle m'a fait rencontrer des gens ayant subi la même opération que moi et qui vivent maintenant une vie active en pouvant s'exprimer normalement. Je suis donc encouragé sur ce plan. Il me faudra ensuite réintégrer le milieu du travail après un an d'absence. J'ai bien hâte, mais tout ça me fait faire beaucoup d'angoisse, me donne beaucoup à penser d'ici à ce que je me sois complètement remis.

Le mercredi 10 mai, 9 h

Je devrai aiguiser ma patience. J'aimerais tant que tout soit réglé. Pourtant, les choses vont quand même assez vite. Il y a à peine deux semaines je me traînais sur les divans avec d'affreux maux de coeur. Aujourd'hui, je me porte bien. Ma langue fait de moins en moins mal (je n'ai plus besoin de morphine). Il y a le cou qui commence à crevasser. Je dois mettre un onguent trois fois par jour.

Le jeudi 11 mai, 9 h 30

Hier, j'ai fait de la musique avec Roxane, notre plus jeune. Elle, à la guitare basse et moi à la guitare, on a chanté du Beatles (en fait, elle a chanté). Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas payé ce petit plaisir. Je pense qu'il faut se les imposer. C'était agréable. J'espère pouvoir renouveler l'expérience ce soir en rajoutant Laurence aux claviers.

J'ai mangé un oeuf brouillé ce matin. Ma langue va de mieux en mieux. Le filet mignon, ce n'est pas pour ce soir, mais je vais me débarrasser lentement de la pompe Kangourou. 

J'ai finalement rendez-vous avec l'orthophoniste lundi. Je ne m'attends pas à ressortir de son bureau avec une voix mais au moins, on va travailler sur le processus qui va m'y mener. Mardi, je vois le docteur Alleyn pour mon bras. Je crois que tout est beau de ce côté.

Le vendredi 12 mai, 11 h

J'ai les émotions à fleur de peau. Je trouve difficile de regarder de vielles photos de nous avant que la maladie me frappe. Ce n'est pas demain la veille que je vais regarder des vidéos de la famille. Une autre chose m'a frappée cette nuit. J'ai réalisé que Laurence, notre plus vieille s'en allait étudier à l'extérieur cet automne. Sa présence va me manquer tellement. Heureusement, j'ai encore Roxane et Isabelle. Que de deuils à faire cette année.

Le samedi 13 mai, 19 h 30

Ma mère et mon frère sont venus me voir. Ils passeront la fin de semaine avec nous. Ils ne m'avaient pas vu depuis ma trachéotomie. Ils ont trouvé que j'avais l'air bien. Je suis bien content de les voir. C'est la première fois que je pouvais leur parler de ma condition en personne. C'est difficile de le faire au téléphone avec l'électro-larynx. C'est Isabelle qui se chargeait de cette tâche.

Le dimanche 14 mai, 12 h 30

Ma mère et mon frère sont repartis ce matin. Ce fût une courte visite mais agréable. Jusqu'à maintenant, ils savaient que je me remettais bien physiquement de mon opération et de mes traitements. On a parlé un peu plus de mes inquiétudes et de mes espoirs. J'espère ne pas les avoir trop découragés. Je vais me remettre de tout ça. Ce n'est qu'une question de temps.

Le lundi 15 mai, 14 h 30

J'arrive à l'instant de chez l'orthophoniste. Elle m'a montré comment boucher adéquatement l'orifice dans mon cou pour que je puisse émettre des sons. Non seulement je peux en produire mais je peux parler. J'ai finalement une nouvelle voix. Je dois cependant me pratiquer à produire les sons instantanément, ce qui ne devrait pas prendre de temps. Ce qui me retarde pour l'instant, c'est l'irritation autour de l'orifice causée par les radiations. Je ne dois pas passer mon temps à pratiquer si je ne veux pas aggraver la situation. Avec le temps, je vais pouvoir m'exprimer avec aisance et à mesure que les plaies vont guérir, le son de ma voix s'améliorera.

Le mardi 16 mai, 14 h 30

Nous sommes allés voir le docteur Alleyn pour mon bras. Comme je m'y attendais, tout est beau. Avec le temps, la nouvelle couche de peau va blanchir. Je m'exerce à parler avec ma nouvelle voix. En fait, c'est la voix que j'avais mais extrêmement plus grave. Ce n'est pas facile d'obtenir le son instantanément, mais avec de l'entraînement j'y parviendrai assez tôt.

Le mercredi 17 mai, 12 h 30

Ce matin, j'avais rendez-vous avec le docteur Laurie, l'oncologue qui s'occupait de ma chimiothérapie. Il ne me reste qu'une prise de sang à faire pour vérifier s'il n'y a pas d'anomalies qui auraient pu être causées par la chimio. Si tout est beau, je n'aurai plus à le rencontrer. Ce qui m'encourage, c'est que j'ai pu expliquer mon cas à tout le monde, réceptionniste, infirmière et médecin moi-même avec ma nouvelle voix. Tout le monde m'a très bien compris sans que j'aie à répéter. Isabelle était fière de moi.

Le jeudi 18 mai, 17 h

C'est une journée tranquille aujourd'hui. Depuis la fin des traitements, je n'ai pratiquement plus de rendez-vous. On sort de temps à autres chez Tim Horton's ou McDonald's (même si je ne prends rien, le goût est réduit au minimum) mais ça ne suffit pas toujours à combler le vide qui s'est installé depuis quelques jours. La poussière est retombée depuis l'opération et les traitements et je commence à réaliser que je vais être différent. C'est une bonne chose que je puisse recommencer à parler. Pour le faire avec aisance et obtenir un timbre satisfaisant, il me faut placer le pouce rapidement et à la bonne place dans mon orifice. Pour l'instant, il y a un délai avant que j'arrive à produire les sons mais l'orthophoniste me dit que je vais développer ce réflexe assez rapidement.

Le vendredi 19 mai, 14 h 30

Ce matin, je suis allé faire un tour à l'école. Ça m'a fait grand plaisir de pouvoir converser avec ma collègue Christiane qui me remplace et le personnel. J'ai même pu discuter avec quelques élèves. Ma voix est différente, elle n'est pas encore au point mais personne ne m'en a tenu rigueur. En après-midi, j'avais  rendez-vous avec l'orthophoniste. elle était impressionnée par ma visite à l'école. Elle m'avait demandé de produire simplement des sons. En constatant que je me permets de converser, elle m'a invité à continuer, que je développerais rapidement des habiletés. Ça m'encourage.

Le samedi 20 mai, 16 h

Les fins de semaines sont longues. En fait, les journées où il ne se passe rien sont difficiles à vivre. Il faudrait que je sois constamment occupé. Autrement, à tenir maison, j'ai trop l'occasion de me mettre à penser. Ce n'est pas toujours bon. Je me souviens avoir dit qu'il ne sert à rien de se demander pourquoi pareil malheur nous tombe sur la tête. On se le demande quand même. On ne peut s'empêcher de regretter le temps où tout baignait dans l'huile. Heureusement, j'ai ma famille mais je ne peux pas leur demander de toujours me tenir la main. Après tout ce que je viens de traverser, même si tout le monde s'entend pour dire que j'ai bien fait, je réalise qu'il me reste encore un gros bout de chemin à faire. Je dois me convaincre que ma vie reprendra son cours normal. Je sais que ça viendra mais ce n'est pas toujours facile de se le rentrer dans la tête. 

Physiquement, ça va bien. Jusqu'à tout récemment, je ne mangeais que de la soupe et des oeufs (brouillés ou omelettes) et je compensais par des canettes de suppléments nutritifs que j'ingérais par mon tube. Dernièrement, j'ai mangé du spaghetti et aujourd'hui, du boeuf et brocoli en sauce. Je n'ai donc pas eu besoin de me connecter à la pompe. Je ne goûte pratiquement rien et comme ma glande salivaire ne produit pas assez de salive, la nourriture reste sèche dans la bouche. C'est la raison pour laquelle je ne peux pas manger n'importe quoi. Ma plus grosse préoccupation pour l'instant, hormis ma rémission, est une légère perte de mes facultés auditives. Il y a deux raisons possibles. Les radiations peuvent avoir fait enfler les conduits auditifs et du liquide a pu s'y accumuler. Si c'est le cas, ça reviendra au bout de quelques semaines. Il se peut aussi que le cisplatine de la chimiothérapie ait endommagé les nerfs auditifs, auquel cas, la perte de l'ouïe serait permanente. J'ai un rendez-vous en audiologie mardi pour vérifier tout ça mais j'ai plus confiance au docteur O'Dell que je vais rencontrer dans deux semaines. Il pourra peut-être enlever le liquide, si liquide il y a. J'entends quand même bien mais c'est un peu comme lorsqu'on a la grippe. Je prie fort pour que ce soit la première hypothèse. Le fait que parfois ça revient un tout petit peu quand je baille me laisse croire que ça pourrait être le cas.

Écrivez-moi, je me fais toujours un plaisir de répondre à tous mes courriels.

Le dimanche 21 mai, 12 h

Nous sommes allés voir Mission: impossible 3 hier soir. Je commence à pouvoir me concentrer à écouter des films, que ce soit au cinéma ou à la maison. Avant, je ne pouvais pas ou plutôt, je ne voulais pas, mon esprit se mettant à vagabonder. Ce n'est pas encore facile, mais je crois que je vais y arriver. Ce sont mes expériences en dehors de la maison qui m'aident le plus, lorsque je suis obligé de devoir parler. Ça me rapproche plus de la réalité. Aussi, je commence à répondre au téléphone et je fais quelques appels. Il ne faudra pas vous surprendre si vous entendez une grosse voix basse à l'autre bout du fil un de ces jours. 

Cette entrée ne s'autodétruira pas dans les cinq prochaines secondes. Je tiens à ce que le plus de gens possible la lisent... et puis ce serait bête pour votre ordinateur.

Le lundi 22 mai, 11 h 30

Je disais à Isabelle hier que j'étais impressionné par la force avec laquelle elle traversait toute cette épreuve, je lui demandais comment elle faisait pour surmonter tout ça. Elle m'a répondu qu'elle avait choisi de regarder le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide. Avant qu'on m'annonce la nouvelle, elle m'a avoué craindre le pire, qu'on aurait pu nous annoncer que tout était fini. Quand elle a su que j'avais 50% de chance de m'en sortir elle s'est dit "ça y est, il n'a besoin que d'une chance. Il va s'en sortir". Depuis, elle marche avec moi avec un positivisme incroyable. Inutile de dire qu'on vit ensemble des moments très difficiles mais elle me rappelle constamment que tout aurait pu être pire. Qu'entre autres choses, je me suis remis remarquablement bien de mon opération, que je n'ai pas enduré le quart des effets secondaires qu'on m'avait prédits pour les radiations et que je me suis mis à reparler rapidement. Elle a raison. Compte tenu de la situation, tout s'est bien passé. Je ne peux qu'être convaincu de ma guérison. Je lui suis extrêmement reconnaissant de lutter ainsi avec moi en dépit du malheur qui nous frappe. Elle ne m'a jamais laissé tomber malgré sa peine.

Hier, nous somme allés chez Tim Horton's. J'ai pris un petit café. Ça goûtait un petit peu le café sans sucre. Ce n'était pas si mal. De toutes façons, on fait ce genre de sorties pour voir du monde et se changer les idées. Isabelle me faisait d'ailleurs remarquer que c'était la première fois que je prenais la peine de m'asseoir sans être pressé de partir. C'est un signe que je recommence à profiter du moment qui passe. En revenant, j'ai réparé le miroir extérieur de la voiture à Isabelle. Ce n'est pas grand chose, mais je me suis senti utile. C'est important.

Le mardi 23 mai, 17 h 30

Je suis allé passé un test d'audition ce matin. On m'a confirmé que la perte auditive dont je souffre sera permanente. C'est un drame pour moi, un autre. Ce n'est pas sévère, je n'aurai pas besoin de prothèses. Je n'entends plus les hautes fréquences. C'est désagréable lorsque je me trouve dans un environnement bruyant, comme dans un centre d'achats. Je vais m'y faire j'imagine. 

À ce stade-ci, quand les coups durs sont derrière soi, il faut relever les manches et se dire que la vie continue. Ça, c'est quand on regarde froidement la situation. Je discutais avec Isabelle des raisons pour lesquelles mon moral joue au yo-yo. Quand on y pense, il ne devrait pas y en avoir. Je suis en vie et je suis passé au travers des dernières épreuves tellement bien que ça étonne même les spécialistes. Alors quoi, c'est ma nouvelle voix qui me fait peur? Elle est différente mais on m'a fait une laryngectomie, pas une lobotomie. Je parle, je peux communiquer. Je n'ai rien perdu de mes facultés. Ça ne peut être que les deuils que j'ai à faire, mes cordes vocales et mon ouïe. La vie que j'avais finalement. Cela prendra certainement du temps mais ne devrait pas être un obstacle à ma réhabilitation, d'autant plus que, paraît-il, je fais des progrès incroyables. Facile à dire tout ça mais c'est là-dessus que je travaille. L'orthophoniste me disait que les seules limites que j'aurai sont celles que je me serai fixées. Je crois qu'elle a raison.

Le mercredi 24 mai, 17 h 30

La diminution de mes facultés auditives m'affecte beaucoup même si c'est une perte légère. N'entendant plus les hautes fréquences, le son du piano par exemple, est pour moi différent, parfois distordu. Il ne faut pas que j'y pense. La musique a toujours pris une place importante dans ma vie. Ce plaisir s'est en grande partie envolé du jour au lendemain avec cette perte de l'ouïe et mes cordes vocales. Je ne sais pas si je vais me remettre de ça. Comme c'est triste.

Le jeudi 25 mai, 21 h 30

Ce matin, nous sommes allés déjeuner chez McDonald's. Je croyais pouvoir engloutir un numéro 3 mais je ne suis pas encore prêt pour ça. Je ne goûte pas assez. Je me suis contenté de prendre un café et une canette de suppléments nutritifs que j'avais emporté au cas où.

Je suis allé prendre un café chez Tim Horton's avec Isabelle hier soir. On parlait de toutes les épreuves par lesquelles je suis passé depuis novembre dernier. En fait, le sujet revient souvent sur le tapis, ce doit être une sorte de thérapie. Quand on en fait le bilan, on réalise que j'en ai vécu des vertes et des pas mûres. J'ai tout décrit dans mon journal. J'ai reçu d'ailleurs plusieurs courriels de gens qui m'ont trouvé courageux. J'ai pris les compliments et j'en suis extrêmement reconnaissant. Il faut savoir cependant que le soldat qui va défendre son pays au front est lui aussi courageux. Il a peur aussi. Il a des inquiétudes et vit sur un stress constant. J'ai peut être embelli les choses dans mon journal, je ne sais pas, mais je n'ai jamais rien pris avec un grain de sel. On combat le cancer avec la trouille au ventre, du questionnement sans parler de la douleur. Le temps arrange les choses. En même temps, il est insupportable. Quand on regarde derrière, on se dit enfin c'est fini. Devant, on se demande si on va finir par y arriver. Heureusement, on rencontre toujours des gens qui nous assurent que oui. Avec le cancer, on s'imagine le pire. On oublie trop souvent les survivants.

Ce soir, je suis allé à la session de placement. C'est un grand rassemblement où vont les enseignants qui désirent changer d'école. J'ai pu y rencontrer la plupart de mes collègues et discuter avec eux.  Le volume de ma voix est très limité et il m'était parfois difficile de me faire entendre. J'ai souvent eu à leur parler dans le creux de l'oreille. L'orthophoniste m'a dit que pour adresser la parole dans des endroits bruyants, il y a de petits systèmes d'amplification portatifs qu'on peut utiliser. Qu'importe, ça m'a fait grand plaisir de les revoir et si une occasion comme celle-ci se représente, je ne la raterai sûrement pas.

Le vendredi 26 mai, 19 h 30

J'avais rendez-vous chez l'orthophoniste ce matin. Elle est satisfaite de mes progrès. Elle me recommande simplement de veiller à ce qu'il n'y ait pas d'air qui s'échappe lorsque je bouche le trou. Elle m'a présenté à un homme qui venait de subir une laryngectomie le mois passé. Il est en attente de ses traitements. Pour l'instant, il communique avec un électro-larynx. Il avait visiblement l'air content de voir qu'on peut s'exprimer plus naturellement.

Je me suis acheté une tablette de chocolat, histoire de voir si je pouvais goûter. Je suis encore loin du but. Ma friandise favorite avait un goût de cire. Je perçois mieux les saveurs salines que sucrées. J'essaierai peut-être des chips au vinaigre.

Le samedi 27 mai, 16 h 30

La Société canadienne du cancer, à ma requête, m'as mise en contact avec quelqu'un ayant subi la même intervention que moi. Lorsqu'on fait la demande, on veut savoir notre âge, statut social, etc. dans le but de trouver une personne qui nous ressemble le plus possible. Ce matin, un type m'a téléphoné et m'a raconté son histoire. Il lui est arrivé la même chose que moi il y a de cela à peine quelques années. Il a repris son travail et mène maintenant une vie normale. C'est toujours rassurant de recevoir ces témoignages. On se sent moins seuls au monde. Quand je lui ai dit que j'acceptais difficilement d'avoir perdu ma voix il m'a répondu que je ne l'avais pas perdue, qu'elle était maintenant différente et que je m'y habituerais, que les gens autour de moi s'y feraient également. Il m'a donné son numéro de téléphone pour que je puisse l'appeler si j'en avais besoin. C'est une personne très gentille. J'aimerais aussi me joindre à un groupe qui se rencontre quelques fois par année et qui s'appelle Nu-Voice. Ce groupe de soutien, supervisé par mon orthophoniste, discute d'expériences personnelles et parle d'adaptations qu'il est possible de faire pour faciliter la communication. On y présente également divers accessoires disponibles tels que des systèmes d'amplification, valves permettant de parler les deux mains libres ou d'autres gadgets servant à protéger l'orifice comme pour prendre une douche, par exemple (À la maison, j'ai une douche téléphone tandis qu'à l'hôtel...).

Les filles sont parties à Canada's Wonderland avec les autres élèves de leur école depuis hier et ne reviendront que tard cette nuit. Isabelle est sortie avec sa soeur qui est venue lui rendre visite. Je suis donc resté seul à la maison. Pour m'occuper, je suis allé faire quelques emplettes et, chose que je ne fais jamais seul en temps normal, je suis allé manger une beigne avec un café chez Tim Horton's. Il faut que je m'occupe. Rester assis ne m'apporte rien de bon. Je me mets à penser à toutes sortes de choses et ce n'est pas bon pour mon moral. Tout à l'heure, j'irai préparer mon souper et ce soir j'essaierai d'écouter la télévision.

Le dimanche 28 mai, 17 h

Je suis allé faire l'épicerie avec Isabelle cet après-midi. Je commence à avoir drôlement hâte que mes papilles gustatives reprennent du service. Je ne sais pas ce que je donnerais pour pouvoir déguster un bon filet mignon. Dire que je ne peux même pas me payer une tablette de chocolat.

Je l'ai déjà dit mais encore une fois, j'accepte bien difficilement cette perte auditive. Au supermarché, tous les bruits se confondaient pour donner un espèce de bourdonnement insupportable à entendre. Je ne pouvais distinguer la musique et il m'est difficile d'entendre mon interlocuteur dans ces conditions. Paraît-il que je vais m'y habituer. Le temps, toujours le temps...

Suis-je handicapé? Oui, je dois l'admettre. Ma voix est différente. Je ne peux pas la moduler (chanter) et le volume est limité. Par contre, puisque mon handicap ne m'empêche pas de faire ce que je faisais auparavant, sauf chanter et crier, je dirais qu'il s'agit d'un léger handicap. À la limite, je dirais même que je ne le suis pas mais mon explication ne tient pas la route. Prenons le chanteur Martin Deschamps. Personnellement, je considère qu'il est lourdement handicapé. Pourtant, quand on le regarde aller, qu'on l'écoute parler, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'y a pas grand chose qui arrête ce gars-là. C'est encore entre les deux oreilles que ça se passe. Si rien n'arrête Martin Deschamps, de quoi me plaindrais-je sinon d'avoir perdu quelque chose?

Le lundi 29 mai, 15 h

Ça fait déjà plusieurs jours que je ne me branche plus à la pompe Kangourou pour ne nourrir. Je verrai le médecin jeudi et j'espère bien qu'il me dira qu'on peut enlever mon tube à l'estomac. Nous sommes allés chez McDonald's cet après-midi et je me suis pris un sunday au chocolat. Curieusement, je peux goûter la crème glacée, saveur pourtant subtile, mais pas le chocolat. Ça viendra.

Le mardi 30 mai, 15 h

Ce matin, nous sommes allés acheter des fleurs pour planter devant la maison. On profite de la belle température, c'est bon pour le moral. La vie reprend lentement son cours normal et je me concentre sur le moment présent. La personne qui m'a été présentée par la Société canadienne du cancer m'écrivait dernièrement que lorsqu'on escalade une montagne, il faut regarder vers le haut, pas vers le bas. Il m'a dit aussi que ma vie sera différente mais pas plus difficile. En me racontant son histoire, il m'en a donné la preuve.

Le mercredi 31 mai, 18 h

Joanne est venue me voir cet après-midi. Elle reviendra la semaine prochaine mais je crois bien que ce sera la dernière fois. Il n'y a plus grand chose à dire sur ma condition physique à ce moment-ci. Les plaies autour de mon cou sont guéries, j'ai recommencé à manger et j'ai récupéré presque toutes mes énergies. Il ne reste que mon tube à faire enlever.

Il n'y a pas si longtemps, peu de temps après mon opération, je regardais les gens autour de moi et je les trouvais chanceux de ne pas vivre ce que je vivais, je les enviais. Nous sommes allés prendre un café cet après-midi et je les regardais encore. Bien sûr, je préfèrerais ne pas avoir cette menace qui me pèse dessus, j'aimerais mieux pouvoir parler comme eux mais je ne pense pas que j'échangerais ma vie contre la leur. On a chacun notre petite histoire. Même si ça ne me semble pas évident tous les jours, je me dis qu'il peut encore m'arriver toutes sortes de belles choses.

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