Février

Le mercredi 1er février, 11 h 30

Joanne, l'infirmière qui vient me porter des soins à domicile, vient me rendre visite. Elle change mes bandages sur le bras et ceux autour de mon tube à l'estomac. Elle nous explique comment fonctionne la machine qui sert à m'injecter de la nourriture par mon tube. En anglais, ça s'appelle une "kangaroo pump", une pompe kangourou. Ne me demandez pas pourquoi. Ça ne ressemble pas du tout à l'animal, ça ne saute pas et ça ne boxe pas.

On m'avait dit que je ne serais pas incommodé par un rhume ou une grippe parce mes voies respiratoires ne mènent pas au nez et la bouche. Ce n'est pas vrai. Comble de malheur, j'ai attrapé un rhume. Le nez me coule sans arrêt et il m'est impossible de me moucher. C'est une sensation extrêmement désagréable. Isabelle est allée me chercher une poire qu'on utilise pour retirer la morve du nez des bébés. Ça et de la nourriture en purée, je redeviens un vrai nourrisson.

Comme il y avait beaucoup de mucus verdâtre autour de la prothèse, Joanne s'inquiète pour une infection qui aurait pu se développer autour de la greffe, qu'à la limite, celle-ci pourrait ne plus irriguer. Elle téléphone au docteur Alleyn qui lui dit de ne pas s'en faire. Pour la plupart des laryngectomies, c'est une chose très normale que d'avoir beaucoup de mucus dans cette région les premiers jours. Je suis rassuré.

Le jeudi 2 février, 10 h

Mon docteur de famille vient me visiter à la maison en compagnie d'une étudiante en médecine. Il vient s'assurer que je vais bien et que je n'ai besoin de rien. Joanne est également présente.

Le jeudi 2 février, 13 h

La diététicienne vient me voir. Elle fait toutes sortes de calculs pour vérifier mon alimentation. Je dois m'assurer d'avoir toutes les protéines nécessaires pour reprendre des forces. De plus, les protéines favorisent la cicatrisation des plaies. Tout est conforme. Elle me recommande simplement de boire un peu plus.

Le vendredi 3 février, 11 h

Isabelle téléphone à l'orthophoniste pour lui demander si je peux commencer à manger de la nourriture plus consistante (elle est aussi pathologiste). Elle lui répond que je n'ai qu'à essayer. Évidemment, les Dorritos sont à proscrire. J'ai mangé de la fritatta, un genre de quiche sans croûte. C'était délicieux. Ce soir on mange du spaghetti. Wow!

Le vendredi 3 février, 14 h

Nous sommes allés chez Tim Horton's. Je reprends des forces mais c'est inégal. J'aurais voulu y aller hier mais je me sentais trop fatigué. Je veux me remonter vite mais sans rien brusquer.

Le samedi 4 février, 15 h

Ce matin, j'ai placé une canule plus longue par erreur dans ma trachée et en toussant, ça s'est mis à saigner. Isabelle a appelé Joanne qui lui a dit que je m'étais probablement seulement irrité mais qu'il serait sage d'aller faire vérifier à l'hôpital, ce que nous avons fait. J'ai attendu trois heures et je n'ai pas vu le médecin. Isabelle est allée leur rappeler que j'avais eu une opération majeure et que j'étais fatigué. Il y avait eu un accidenté et je devais attendre encore un peu. Je suis parti. Je dois me nourrir fréquemment et j'avais pris du retard. Si ça saigne encore, j'irai à Ottawa. C'est d'ailleurs ce qu'on fera dorénavant en dépit de la distance.

Le samedi 4 février, 22 h 45

On revient de l'hôpital Civic d'Ottawa. Il y avait encore du sang quand je toussais et je tenais à ce qu'un médecin vérifie. C'est un médecin résident en ORL qui a inspecté ma trachée en y insérant un périscope. Il n'y avait qu'une égratignure probablement causée par l'insertion de la mauvaise canule. Elle guérit déjà, je n'ai pas à m'inquiéter.

Je n'ai pas le temps de me connecter à la pompe kangourou. Je vais boire une canette de suppléments nutritifs et manger un morceau de Brie. C'est bien meilleur.

Le dimanche 5 février, 8 h 30

Il y avait encore un peu de sang dans mes sécrétions ce matin. Je ne m'en fais pas trop puisque le médecin n'avait pas l'air inquiet outre mesure hier. J'ai quand même hâte que ça cesse. J'ai dormi sans mes canules cette nuit, le trou grand ouvert. Le médecin me l'avait recommandé pour éviter qu'elles ne touchent les parois de mon larynx et qu'elles me fassent tousser inutilement.

Le dimanche 5 février, 11 h

Il fait beau soleil aujourd'hui, on dirait une journée de printemps. C'est bon pour le moral. On est allés déjeuner chez McDonald's. J'ai pris un McMuffin oeuf et jambon avec une patate hachée brune et un café. Ça faisait une éternité que je n'avais pas mangé sans risquer de m'étouffer. C'est fou ce que ces petits plaisirs prennent de l'importance quand on a peur de les perdre ou qu'on n'y a pas goûtés depuis longtemps. J'ai l'impression d'être un prisonnier qu'on vient de libérer après quinze ans d'incarcération.

Le dimanche 5 février, 15 h

Isabelle me branche à la pompe kangourou. Je dois prendre des suppléments de protéines entre les repas pour maintenir mon poids. Si mes plaies guérissent vite, je suis convaincu que c'est parce que je m'étais bourré de Brie pendant les vacances des Fêtes. Ma gloutonnerie m'aura servi.

Le lundi 6 février, 15 h

Hier, j'ai proposé à Joanne d'espacer ses visites aux deux jours. Isabelle peut changer mes pansements au bras et à l'estomac. C'est rassurant d'avoir une infirmière qui vient à la maison pour vérifier si tout va bien mais le fait de diminuer la fréquence de ses visites est pour moi un signe que ma condition s'améliore. De toutes façons, si j'ai besoin de quoique que ce soit, elle m'a dit de ne pas hésiter à l'appeler. Elle est très dévouée.

J'ai passé une partie de la journée sans mes canules. Quand j'éternue, les sécrétions sortent et se déposent sur le bord de l'orifice. Je ne sais pas si dans ces cas là je dois dire que je me mouche pour les enlever puisque rien ne sort par le nez.

Je sais pourquoi on appelle ça une pompe kangourou. C'est le nom de la marque.

Le mardi 7 février, 15 h

J'avais rendez-vous avec le docteur Alleyn, le chirurgien esthétique qui a prélevé de la peau sur mon bras et refait mon larynx. Il voulait simplement voir le bras. Il a défait les bandages et à mesure que la plaie apparaissait, je la regardais avec étonnement, même un peu d'effroi comme je le fais à toutes les fois que je la vois. C'est vraiment impressionnant toute cette peau luisante, presque transparente au travers de laquelle on peut clairement distinguer les veines et les tendons. Lui, il a souri de satisfaction en me disant que tout était beau, que je n'avais plus besoin de pansements. J'étais content que les yeux du spécialiste aient vu ça avec autant d'enthousiasme. Aussi, je m'inquiétais pour la raideur dans le bras et l'insensibilité en haut du pouce. Il m'a dit que c'était normal et que j'en avais pour quelques mois avant de retrouver toute ma motricité. Il savait que j'étais musicien et m'a recommandé de recommencer à jouer, que c'était la meilleure des thérapies. Pas seulement pour le bras que je me disais.

Le mercredi 8 février, 15 h

Je reviens de l'école. Ça m'a fait grand plaisir et du bien de revoir tout le monde. Je suis allé dans toutes les classes. Les élèves étaient bien impressionnés par mon électro-larynx. Ce genre de sortie contribue positivement à ma convalescence. J'y retournerai certainement avant mes traitements.

Le jeudi 9 février, 13 h

Depuis que je ne porte plus de bandages sur mon poignet, je trouve que la motricité de mon bras revient vite. C'est encore insensible près du pouce mais la douleur sur le dessus de la main est disparue et elle est moins enflée. Il y a encore du travail à faire.

Le jeudi 9 février, 15 h 15

J'ai mangé une copieuse assiettée de bouilli de légumes, un de mes plats préférés. Je ne perds pas de poids, même que je pense en avoir pris. C'est bon. Je n'ai pas besoin de me connecter à la pompe kangourou d'autant plus que j'ai mes rations de protéines trois fois par jour.

Joanne est venue me voir après le dîner. Elle espacera ses visites à trois par semaine. C'est un autre signe que je me remets bien. Tout de suite après, nous sommes allés chez Tim Horton's. Je me sens en meilleure forme et j'essaierai de faire d'autres sorties, plus longues, plus loin.

On me demandait s'il y avait un risque que des corps étrangers pénètrent dans ma trachée et aillent se loger dans mes poumons. Il y en a un mais tout de même minime. C'est comme si vous vous promeniez toujours la bouche ouverte. Ce qui pourrait m'inquiéter, c'est la prothèse mais elle est attachée à un collier de fil à coudre. De plus elle mesure environ cinq centimètres. J'aurais le temps de m'en apercevoir et de réagir si elle devait sortir de son emplacement. Disons que si des enfants se mettaient à jouer aux billes devant moi en me prenant pour cible, j'aviserais. L'eau représente aussi un danger. Je devrai faire attention lorsque je prendrai des douches. La baignade et les balades en chaloupe sontb dorénavant proscrites. Je me noierais automatiquement si je tombais à l'eau.

Le vendredi 10 février, 14 h 40

Isabelle allait à son école ce matin et je l'ai accompagnée. Pendant qu'elle rencontrait ses élèves j'en ai profité pour faire un brin de jasette avec ma collègue Suzanne. Pour l'instant, j'ai d'autres priorités mais j'essaie de garder contact avec mon travail quand j'en ai la chance. Au début, quand on apprend la chose, on s'imagine que plus rien ne pourra être comme avant, que tout est fini. Le docteur O'Dell avait dû le lire dans mes yeux à ce moment-là (et probablement dans les yeux de tous ceux à qui il a annoncé pareille nouvelle). Il m'avait dit "tu sais, je ne jouerai pas dans ton cerveau. Il y a des avocats et des médecins qui continuent à pratiquer après une laryngectomie. C'est à toi de décider où tu voudras être dans un an d'ici." À mesure que je remonte la pente, je réalise qu'il avait raison. J'aurai bien des deuils à faire mais je ne serai pas inapte. Je pourrai continuer.

Le samedi 11 février, 21 h 30

La peau sur mon bras se reforme incroyablement vite. La teinte est plus rosée et la texture est moins luisante, on distingue de moins en moins les veines. Seuls les tendons se profilent sous la plaie.

Dernièrement, je regardais une publicité de l'Association canadienne du cancer à la télévision. Une jeune femme est dans le bureau du médecin et celui-ci lui annonce qu'elle est atteinte. Elle réagit en jetant violemment les bras par derrière. Son mari et le reste de la famille ont la même réaction quand elle leur apprend la nouvelle. Tout ceci se passe sans mot dire et pourtant on peut très bien saisir l'ampleur. Ça décrit exactement ce que nous avons vécu. C'est toute la famille qui est affectée quand le cancer frappe, comme toute grande maladie d'ailleurs. Nos petites sorties chez McDonald's et Tim Horton's ne réconfortent pas seulement le principal intéressé. On se remonte tous ensemble, les coudes serrés.

Le dimanche 12 février, 15h 30

Cela fera un mois demain que je suis passé au bistouri. Quand j'y repense, je suis fasciné par tout ce que la médecine moderne peut accomplir. J'en suis tellement enthousiaste que j'ai le goût de partager mon aventure avec la terre entière... en oubliant qu'on n'est peut être pas prêt à voir le travail du scalpel sur mon corps. Mon entourage immédiat y est habitué puisqu'il le voit quotidiennement, c'est le processus menant à ma guérison. Mais pour mes amis, je réalise aujourd'hui que cette vision peut être traumatisante. Je devrai m'en souvenir.

Le lundi 13 février, 19 h 30

Je vois ma guérison en trois volets: les plaies, la forme physique et le moral. On attend que les plaies se cicatrisent avant de me soumettre aux radiations qui me brûleront littéralement la gorge. J'en aurai pour deux mois à m'en remettre. J'ai presque retrouvé ma forme physique. J'ai encore quelques frissons, séquelles de l'anesthésie, et je suis fatigué en soirée. Mais qui ne l'est pas après une bonne journée de travail? Quant au moral, il y a des hauts et des bas mais je trouve que ce n'est pas si mal. Si tout va bien, si tout va comme les médecins l'ont planifié, je serai complètement remis vers la fin juin.

Le mardi 14 février, 11 h

Nous sommes allés déjeuner chez McDonald's comme on le fait bien souvent. On y est allés parce qu'on voit du monde, parce que ça fait du bien, parce que ça change le mal de place, parce que c'est la St-Valentin... Toutes les raisons sont bonnes pour sortir de la maison de temps à autres. Je pense que je vais demander des redevances à McDonald's et Tim Horton's pour la publicité que je leur fais. J'imagine la scène dans une annonce à la télévision, le gars sur son lit d'hôpital avec un Big Mac à la main: "Ta coupure te fait mal? Rien de tel que McDonald!" ou encore "Tu sors de l'hôpital? Va vite chez McDonald!"

Le mercredi 15 février, 19 h 30

Ce matin, j'avais rendez-vous chez le docteur Corsten, un des chirurgiens qui m'a opéré. J'y ai rencontré le médecin résident Tibbo qui venait me visiter tous les matins à l'hôpital. J'étais bien content de le voir. Ils m'ont trouvé tous les deux en très grande forme. Je n'ai plus besoin de porter les canules dans ma trachée. On doit les garder pour maintenir le trou ouvert mais le mien est si grand que je peux me passer de cet appareil. Si je trouvais le moyen de boucher ce trou, je pourrais parler. J'ai essayé avec le pouce, on a même acheté une balle de ping-pong, rien n'y fait. Je devrai attendre les conseils de l'orthophoniste. On est allés fêter ça au chic resto A&W. Je vais attendre d'être en meilleure forme avant d'aller prendre un repas dans un bon restaurant. J'ai encore la base du cou enflée et la mâchoire quelque peu engourdie. Comme je dois mastiquer mes aliments plus que je ne le faisais avant (mon oesophage ne se contractant plus, la nourriture risque de s'empiler et de bloquer le conduit), manger un hamburger est déjà long et fastidieux.

Je me suis repris ce soir. Aujourd'hui, c'est la fête à Laurence et on a mangé une fondue pour célébrer ses 18 ans. J'ai pu prendre tout mon temps.

Le jeudi 16 février, 18 h 45

On est allés au Centre de cancérologie cet après-midi pour y rencontrer le médecin oncologue qui s'occupera de ma radiothérapie. Il y avait également le docteur Corsten. Lui et le docteur O'Dell suivent mon cas de près en consultation avec les oncologues. Ce rendez-vous m'a refait prendre conscience de la gravité de ma situation. Les chirurgiens ont enlevé ma tumeur et les huit ganglions qui s'étaient formés dans ma gorge. Ils ont retiré ce qu'ils ont pu voir. On doit maintenant exposer cette partie du corps aux radiations pour éliminer les microscopiques cellules cancéreuses restantes. Il y aura un traitement par jour du lundi au vendredi pour une période de six à sept semaines. Chaque séance ne dure qu'une dizaine de minutes. De concert avec la radiothérapie, il y aura la chimiothérapie. J'aurai trois injections de ce traitement, au début, au milieu et vers la fin. On commence dans trois semaines.

On nous a parlé aussi des effets secondaires de la radiothérapie. J'aurai un mal de gorge qui m'empêchera éventuellement d'avaler. Il est fort probable que des ulcères se forment dans ma bouche et il est possible que des infections s'y déclarent. Les tissus internes seront brûlés de même que la peau autour du cou. La chimiothérapie, elle, affaiblira mon système immunitaire. Je devrai être vigilant, surveiller toute poussée de fièvre qui serait un indicateur qu'une infection s'est déclarée. Évidemment, on me donnera des médicaments pour contrer ces effets secondaires. Moi qui me réjouissais de ma remontée, je suis vite redescendu sur terre. Il va falloir prendre ça un jour à la fois. Première étape: fabrication d'un masque qui maintiendra ma tête en position pendant les traitements. Faudrait pas qu'on me brûle un oeil, quand même.

Le vendredi 17 février, 19 h30

L'opération est une étape violente, subite. On en a pour au moins deux semaines à récupérer à l'hôpital et ce, sous étroite surveillance du personnel infirmier et des médecins. Ce matin chez McDonald's, on a reparlé de notre visite d'hier au Centre de cancérologie, de tout ce qui m'y attend.  La radiothérapie, c'est plus sournois. On descend lentement vers la souffrance. On nous accompagne tout au long de la thérapie mais il me semble qu'on a plus à faire soi-même pour passer au travers. Je ne sais pas, on verra. Je me doute bien que ce sera une vilaine période mais ce n'est pas ce qui m'inquiète le plus. Ce qui est angoissant, c'est qu'il faudra attendre deux ans avant qu'on puisse me dire si les traitements ont été efficaces. C'est long, surtout quand on sait qu'au bout il n'y aura pas de deuxième chance. Un autre titre de chanson m'est venu à l'esprit...

Le samedi 18 février, 17 h

Je n'ai pas fait grand chose de ma peau aujourd'hui. J'ai dormi une bonne partie de la matinée et de l'après-midi. On m'avait dit que je devais être à l'écoute de mon corps et que c'était correct de se sentir à plat, de ne pas vouloir faire quoique ce soit. Mon corps a parlé et je l'ai écouté attentivement.

Le dimanche 19 février, 17 h

J'ai dû me rendre à l'hôpital cette nuit parce que j'avais de la difficulté à respirer. J'avais des sécrétions que je ne réussissais pas à dégager en toussant. On a voulu utiliser la pompe à succions mais elle ne fonctionnait pas, alors nous sommes descendus à Ottawa. J'aurais souhaité qu'en peu de temps on puisse me faire cette succion mais à mon arrivée, en déclarant que j'étais à bout de souffle, on m'a orienté vers la section traumatologie et ressuscitation de l'urgence. On m'a demandé d'enfiler la jaquette de l'hôpital et de m'étendre sur le lit. On m'a ensuite fait une intraveineuse et pris de mon sang. Je commençais à trouver ça moins drôle, à me demander si c'était plus sérieux que je ne le pensais. On a pris une radiographie de mes poumons et quand on a vu que rien n'obstruait les voies respiratoires, on m'a dit qu'on appellerait le spécialiste en oto-rhino-laryngologie vers 6 h 30 pour lui demander son avis; il était 4 h. Finalement, c'était ce que je pensais. Je n'avais pas utilisé l'humidificateur depuis un bout de temps et les sécrétions sont devenues plus consistantes. Quand il m'a vu (vers 7 h 30) le médecin a présenté le cathéter à l'entrée du larynx et tout est revenu à la normale. De toutes façons, je respirais déjà mieux avant qu'il ne s'exécute. Dorénavant, je saurai quoi faire. D'abord m'assurer que ma pompe fonctionne, ce qui est déjà fait, et utiliser mon humidificateur plus régulièrement. Inutile de dire que j'ai encore dormi une partie de la journée pour me remettre de cette sortie... branché à l'humidificateur.

Le lundi 20 février, 20 h 30

Quelle journée! On m'a donné un rendez-vous chez-le dentiste cet après-midi. Je devrai me faire arracher cinq dents de sagesse ce mercredi. De la façon qu'elles sont placées, elles pourraient causer de l'infection pendant la radiothérapie et entraîner la perte d'autres dents ultérieurement. Je devrai encore me priver de la bonne bouffe pendant un petit bout de temps.

Je devais également rencontrer l'orthophoniste et le docteur Corsten pour faire changer ma prothèse. Finalement, on ne le fera pas. L'emplacement a désenflé et s'est refermé autour de l'appareil. Il faut que je trouve un moyen de boucher le trou dans ma gorge pour pouvoir parler. Pour l'instant, je n'y arrive pas mais l'orthophoniste m'a dit de ne pas m'inquiéter, qu'on trouvera une façon de le faire après la radiothérapie. Au moins, je suis reparti avec une brosse pour nettoyer la prothèse.

Heureusement, ce matin j'ai eu la visite de Pierre, un collègue maintenant à la retraite. Il venait prendre de mes nouvelles. On a parlé de mon cas et d'éducation, entre autres choses. Ça faisait contraste avec le reste de la journée. Demain sera un autre jour et après-demain sera souffrant.

Le mardi 21 février, 13 h 45

Mon agenda ces temps-ci est aussi rempli, sinon plus, que lorsque je travaillais. Rendez-vous chez l'orthophoniste, le dentiste, les médecins... ça n'arrête pas. Ce qui m'impressionne, c'est la communication qu'il y a entre les différents intervenants. Il est arrivé à quelques reprises de devoir dire à l'un d'eux que je ne pouvais me présenter parce que je devais rencontrer quelqu'un d'autre. "Pas de problèmes, on s'occupe de ça". En un rien de temps, tout se coordonnait sans que j'aie à lever le petit doigt. Les 2 et 3 mars, on fabriquera le masque et on y marquera les endroits qui seront la cible des radiations. Les traitements commenceront le 15 mars. Il ne reste que le médecin qui s'occupera de la chimiothérapie à rencontrer, ce qui devrait se faire sous peu. J'appréhende beaucoup la journée de demain.

Le mercredi 22 février, 22 h 30

Et voilà, v'ai finq dents en moins! À force de me faire enlever des morceaux de mon anatomie ici et là, je vais finir par perdre du poids. Ce n'est cependant pas ma conception d'un régime santé.

Je suis allé chez le dentiste une première fois ce matin pour un nettoyage de dents complet. Je dis complet parce que l'hygiéniste a également pris la peine de polir les dents qu'on m'enlèverait plus tard. J'ai trouvé ça drôle. J'ai moins ri en après-midi quand le chirurgien dentiste s'est acharné sur les dents à arracher. Je ne pourrais pas dire que c'était douloureux, on me gelait autant que nécessaire. J'ai, paraît-il, la gencive et l'ossature à la base des dents très solides, très en santé. Ça va jouer en ma faveur pendant la radiothérapie mais c'est plutôt compliqué lorsque vient le temps d'extraire une molaire. Le dentiste a dû briser quatre des cinq dents avant de les enlever. Moi qui n'aime déjà pas m'asseoir sur une chaise de dentiste, ce fût une expérience bien désagréable. L'ennui, après l'opération, c'est le sang qui n'arrête pas de couler. J'avais l'air d'un vampire. On doit garder des pansements entre les dents et les changer lorsque le besoin s'en fait sentir. Je devrai rincer ma bouche régulièrement avec une solution saline aux deux heures et avec un produit pharmaceutique deux fois par jour. En bout de piste, après les radiations, je devrai porter un partiel. Bah, comme Léveillé chantait: "Je me fous de mon dentier quand Frédéric..." Je joue les fanfarons mais me faire enlever cinq dents saines, ça ne me fait pas rire du tout. Ça ne me plaît pas non plus d'ajouter une prothèse à mon corps.

Le jeudi 23 février, 16 h

Je me remets assez rapidement de mes extractions dentaires. Ça ne saigne plus et je n'ai pas de douleur. Je pourrais même manger de la nourriture qui ne serait pas trop consistante mais je n'ose pas. Je me suis contenté d'un pudding et d'un smoothy. Il y a toujours la pompe kangourou. Je m'y suis branché ce matin et je le ferai en soirée. Ainsi, j'aurai les protéines et les vitamines qu'il me faut en attendant de pouvoir manger ce que je veux à nouveau.

Le vendredi 24 février, 18 h

Mes gencives ne me font plus souffrir. À me faire jouer dans la bouche comme on l'a fait, j'ai plus de mal à la langue et à la mâchoire. J'ai mangé un macaroni pour souper. J'ai mastiqué chaque nouille avec mes dents d'en avant. Je ne veux pas risquer de faire saigner les plaies en mâchant avec les gencives. J'espère que je vais retrouver un peu de plaisir à manger.

Le samedi 25 février, 14 h

Jusqu'à maintenant, j'ai suivi scrupuleusement les recommandations du dentiste de me rincer la bouche régulièrement (et j'ai bien l'intention de continuer). Les caillots de sang qui se sont formés sur les gencives commencent à se dissoudre. J'ai mangé une omelette ce midi et il y aura du chili au menu ce soir. Je peux manger de la nourriture de plus en plus consistante mais c'est encore difficile à mâcher.

Il fait presque tempête dehors. C'est dommage parce que je serais bien allé prendre un café quelque part. Je me demande bien où...

Le dimanche 26 février, 18 h

On est allés déjeuner chez McDonald's ce matin. Curieusement, on parle plus de ma maladie lors de ces sorties qu'on ne le fait à la maison. Ce n'est pas qu'on ne parle que de ça, mais le sujet vient plus souvent sur le tapis. Dans mes moments de déprime, surtout au début, il m'arrive de me demander pourquoi toute cette histoire m'est arrivée, qu'aurait-il fallu que je fasse pour éviter pareil malheur. Il n'y a qu'une réponse: parce que c'est comme ça, On n'y peut rien et on ne peut pas revenir en arrière. On a tout simplement perdu à cette loterie. Quand on m'a annoncé la nouvelle au début décembre, on m'a donné deux choix: les radiations seulement ou l'opération et les radiations. J'aurais pu opter pour la première stratégie, même sachant que j'avais moins de chances de m'en sortir. Choisir la deuxième semble évident mais le docteur O'Dell m'a bien dit que plusieurs personnes y allaient pour la solution la plus facile. Quand je lui ai dit que je voulais mettre toutes les chances de mon côté, que j'y allais pour le grand coup, il m'a dit de profiter de mes vacances de Noël pour bien y penser. "C'est un choix difficile et tu dois y réfléchir". Même si j'y perds beaucoup (ma voix et quelques dents par exemple) même si ça fait mal, je n'ai pas de regrets. Quand on dit que la vie coûte cher, dans ma situation cette expression prend tout son sens et je suis prêt à mettre le prix. Je suis celui qui a pris la décision, rien ne m'a été imposé et je me considère chanceux d'avoir eu un choix à faire. On aurait pu me dire que tout était fini, point final.

Ma bouche? N'en parlons plus. Je ne suis pas le premier qui doit se faire enlever quelques dents de sagesse.

Le lundi 27 février, 21 h

Ce matin, j'ai remarqué que ma prothèse coulait. On a donc téléphoné à l'orthophoniste en espérant pouvoir la rencontrer mais elle nous a référés au docteur Corsten. Nous nous sommes donc rendus à la clinique. Après avoir examiné la prothèse, le docteur a décidé de la changer. Je m'attendais à une intervention délicate. Je pensais qu'il me gèlerait un peu mais au lieu de ça, il s'est avancé vers moi et a tiré sur ma prothèse comme sur un bouchon de lavabo. Il a ensuite enfoncé la nouvelle prothèse tout aussi grossièrement. Cette visite n'aura pas duré cinq minutes. Sur le chemin du retour, je me suis rendu compte que je saignais. On est retournés à la clinique pour se faire dire que ça pouvait arriver. Les nouveaux tissus sont encore frais et il est facile de les irriter. Tout est maintenant revenu à la normale.

Demain, je rencontre le médecin qui va s'occuper de la chimiothérapie. Je me demande bien ce qu'ils vont trouver à m'enlever ce coup-ci.

Le mardi 28 février, 19 h

Ce midi, je suis allé voir le docteur Laurie avec Isabelle. Après m'avoir examiné il a repassé les effets secondaires de la chimiothérapie en détail avec nous. Il n'y a pas de morceaux à m'enlever. Il n'y a que des risques. D'abord, on m'administrera trois doses de Cisplatine par intraveineuse. Chaque traitement prendra trois heures. La Cisplatine accentuera les effets secondaires des radiations, notamment le mal de gorge et les réactions cutanées. C'est aussi un médicament qui donne la nausée. Pour prévenir ce désagrément, on me donnera du Zofran et du Decadron. Si je ne suis pas des 85% des patients pour qui ça marche, je pourrai toujours prendre du Stemetil au quatre heures, oralement pour le premier traitement et par injection pour les suivants. Si ça ne m'enlève toujours pas la nausée, je devrai tolérer les vomissements pendant la semaine suivant le traitement. La chimiothérapie a également pour effet de réduire la production des globules rouges et blanches dans le sang. La carence de globules rouge peut causer l'anémie et le manque de globules blanches affaiblit le système immunitaire. Je serai donc très fatigué et je risque d'attraper des infections. Finalement, il y a peu de chances que ça arrive mais la chimiothérapie peut endommager les reins, entraîner une perte partielle de l'ouïe et causer des engourdissements aux doigts et aux orteils. Il n'y a pas moyen de savoir de quelle façon je réagirai aux traitements. C'est assez effrayant quand on se fait énumérer tout ça d'un coup mais il ne faut pas trop s'y arrêter. Le docteur me disait qu'il valait mieux être un malentendant vivant qu'être mort. J'aurai ma première dose le 15 mars, la même journée que mes premiers traitements de radiothérapie.